xtraits
de l’introduction de Claude-Pierre Pérez :
« Les noms d’Éluard et de Paulhan
ne sont pas de ceux que l’on songe communément
à rapprocher, ou à opposer. Non pas tant que
l’un fut surréaliste et que l’autre s’est
identifié à une revue qui eut des rapports
souvent difficiles avec les amis de Breton. Mais comment
faire le lien entre un poète lyrique et un essayiste
sophistiqué, entre un « Pétrarque
moderne » (ainsi que Paulhan définit
lapidairement Éluard) et un maître ironiste,
entre un communiste enthousiaste et un anti-communiste têtu,
entre celui dont on se souvient comme d’un poète
aimé de Gala, de Nusch et de quelques autres et celui
en qui l’on voit d’abord un homme d’édition
et de revues, une « éminence grise »,
un homme de pouvoir ? « Je connais peu
de gens et j’ai peu d’autorité »
écrit Éluard dans l’une des toutes premières
lettres, en février 1919. Paulhan, à l’inverse,
connaît déjà bien du monde ; d’où
suit une demande : « Vous êtes
plus nécessaire, vous serez plus utile que moi à
notre tâche ». « Notre
tâche », donc, comme ailleurs, deux
années plus tard encore, « notre revue ».
Et Paulhan, pareillement, dans l’une de ses réponses :
« notre Proverbe ». Ils sont
proches, sans doute, mais jusqu’où sont-ils
ensemble ?
« Comprenez-vous donc, écrit
Éluard dès février 1920, que je
hais la N.R.F. et la littérature »
; la même année, Paulhan confie à Henri
Pourrat : « J’ai une grande foi dans
la NRF ». Cette foi, comme on sait, ne le
quittera guère. L’appartenance des deux amis
à deux groupes rivaux, l’un « dominé »,
l’autre « dominant »
(et même, à partir de l’apparition de
La Révolution surréaliste, en 1924,
leur insertion dans deux revues rivales), entraîne
divergences et conflits… Avant même le rapprochement
entre surréalistes et communistes, qui s’engage
en 1925, les difficultés ne manquent pas : il
est vrai, sans doute, que Paulhan ne cite pas le nom d’Éluard
dans les lettres où il s’en prend aux surréalistes ;
et que s’il lui arrive de s’attaquer, dans sa
correspondance, à la personne d’Aragon ou de
Breton, on ne trouve rien de tel, sauf erreur, concernant
Éluard. Mais enfin celui-ci appartient bel et bien
à un groupe qui ne cesse guère de s’en
prendre violemment et publiquement à La NRF,
un groupe dont le chef, André Breton, a signé
en février 1926 une première lettre d’injures
à Paulhan, avant que la seconde, en octobre 1927,
ne manque de les conduire jusqu’au duel. Éluard,
cette fois-là, a été forcé de
choisir. Et il a choisi Breton.
Le moment où Éluard reprend langue (prudemment,
et par étapes) avec le directeur de La NRF,
coïncide plus ou moins avec celui où il commence,
à compter de mars 1936, à prendre avec Breton
et ses fidèles ses distances : c’est au
moment de la guerre d’Espagne en effet, qui est aussi
celui des procès de Moscou, quand Breton publie ce
que Paulhan appelle ses « manifestes contre
Staline », que le poète des Mains
libres commence à se laisser aspirer par le
communisme officiel. Et cette rupture graduelle avec Breton
est bel et bien contemporaine de son raccommodement personnel
avec Paulhan (achevé en janvier 1937) et avec La
NRF… On retrouve alors, au moins par moments,
le ton de l’affection. Ainsi Éluard, en juin
1939, depuis la clinique où (une fois de plus) il
séjourne : « Comme tu es gentil !
Tu es, tu as toujours été un des rares pour
qui j’écris (Au début, tu étais
le seul, avec Gala – aujourd’hui, dans
mes moments d’exaltation, je les compte sur les doigts
de ma main, par unités, et par milliards), c’est
dire que je suis sensible à tes avis (mieux :
à tes directives). Tu as toujours fait plus que m’admirer,
tu t’es intéressé à mon “travail”,
comme je m’intéressais au tien. / Comme
je te voyais et t’écoutais avant-hier dans
ma chambre et comme je te voyais et t’écoutais
à Montboron (à Versailles) il y a 20 ans,
tu n’as pas changé. »
Oui, curieuse amitié vraiment, et que les circonstances
ont souvent contrariée, entre deux hommes dont l’affection
semble toujours, hormis les premiers mois de leurs échanges,
plus ou moins en attente d’une séparation et
sous la perpétuelle menace d’une rupture. Au-delà
de la formule conjuratoire d’Éluard : « il
ne se peut pas que nous soyons séparés »,
qui date de 1925, on peut lire cette autre, de 1941 :
« Ici, tout ce qui nous sépare nous
rapprocherait », et cette troisième,
qui est de Paulhan, en 1943 : « C’est
là que je crains vaguement que nous ne nous séparions
un jour ». Crainte bien fondée, on
l’a vu, et singulière persistance. »
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• Édition
établie, présentée et annotée
par Odile Felgine – docteur ès-Lettres
et Sciences politiques, biographe de Roger Caillois (Stock,
1994), de Victoria Ocampo (avec L. Ayerza de Castilho, Criterion,
1990), peintre, poète et romancière –,
et par Claude-Pierre Pérez – professeur
à l’Université de Provence (Aix-Marseille
I), écrivain et spécialiste de Paul Claudel
(Le Visible et l’Invisible, pour une archéologie
de la poétique claudélienne, 1998) et
de Jean Paulhan (Le Clair et l’obscur, actes du
colloque de Cerisy, Gallimard, 1999). Odile Felgine
et Claude-Pierre Pérez ont déjà publié
ensemble la Correspondance Roger Caillois - Jean Paulhan
(Gallimard, 1992).
• 19 fac similés et photographies n. &
b. Annexes. Index des Noms et des Titres.
• Édition originale : 22 décembre 2003.
Collection « Correspondances de Jean Paulhan ».
• Tirage à 1 150 ex. Impression en caractères
Esprit, sur papier Minotaure ivoire 90 g., sous couverture
rempliée bleue.
• 13 x 21, 5 cm 208 pages. Isbn : 978-2-912222-20-6.
• Prix
de Vente public : 27, 00 €
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