« a
pioche et la truelle des ouvriers disponibles demandent
qu’on démolisse et qu’on bâtisse.
La population exige, ou du moins ses médecins l’exigent
pour elle, qu’on racle, assainisse et cautérise
les quartiers ou les fragments de quartiers, décidément
malsains et inhabitables. Ce n’est pas sans quelque
regret que l’on verra s’en aller ces palais
et ces forteresses d’une misère en quelque
sorte approuvée et caressée par ses ressortissants.
Crocheteurs, chiffonniers, ribaudes et pochards, et ces
honnêtes travailleurs des Halles qui dorment à
la bonne franquette dans quelque tanière glaciale,
tout ce monde, ou ce qu’il en reste, se sent vraiment
de Paris. Les églises noires, dont une fiente blanchie
recouvre les corniches comme d’une neige perpétuelle,
les ponts, le pavé des passages, la bonne odeur des
frites et du lard cuits en plein vent, les uns et les autres
en éprouvent avec force les charmes certains. Les
vieilles concierges qui règnent sur des cours pareilles
à des fonds de citerne, et les ménagères
qui, rue des Écouffes, marchandent des carpes, elles
savent que s’épanouissent, à Paris,
de plus vastes perspectives que celles de leurs ruelles
comprimées. Qu’importe ! Il s’est créé,
entre la créature humaine et les pierres du cœur
de Paris, un réseau de fibres profondes. On tranchera
ces fibres, mais beaucoup saigneront. »
Comme Le Mur du Fond (Éditions des Cahiers
du cinéma, 1996) rassemblait ses critiques de cinéma
et La Forteresse et la Marmaille (École
des loisirs, 1996) ses textes sur la littérature
et les écrivains, ce recueil thématique propose
les chroniques de Jacques Audiberti sur Paris, rédigées
entre 1937 et 1939 pour Le Petit Parisien, où
il était journaliste, « tourneur de
commissariat »… Consacrées
aux quartiers insalubres promis à une hygiénique
démolition, aux petits métiers improbables
et aux loisirs curieux, aux animaux et marchés de
la capitale, aux artisans enfin, dont il aimait la technique
et le langage déjà en voie d’extinction,
ces chroniques sont suivies des deux derniers textes écrits
par Jacques Audiberti sur la capitale, publiés dans
Quadrige en 1945 et dans LaNRF
en 1953. Dans la lignée, à la fois descriptive
et nostalgique, de Louis-Sébastien Mercier, de Léon-Paul
Fargue ou de Jean Follain, Paris fut évoque
une ville qui n’existe assurément plus, mais
qui n’existait déjà plus qu’à
peine…
• Texte établi et préfacé par
Josiane Fournier. Collection « Pour Mémoire ».
• Biographie et Bibliographie de Jacques Audiberti.
Dessins et manuscrits de l’écrivain, articles
du Petit Parisien reproduits in-texte
en fac-similés.
• Édition originale, en mars 1999. Tirage
à 800 exemplaires sur Centaure ivoire 90 g., sous
couverture rempliée brique.
• 13 x 21,5 cm. 200 pages. Isbn : 978-2-912222-05-2.
• Prix de vente public : 22 €.