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Extrait ] 31 octobre 1925
«J’ai 27 ans. Je ne travaille pas. J’aime de toute mon âme
un être qui ne songe qu’à faciliter mon bonheur, qui est admirable
de patience et de réconfort. Je ne souffre d’aucun malheur récent.
J’ai moins de soucis que je n’en ai jamais eus, et, vraiment indigne
de tant de privilèges, je suis là, incapable de réagir contre
la fatigue de mon corps et une dépression telle que je ne trouve d’apaisement
que la nuit, réfugiée sur mon divan, comme une loque, un pantin
vidé. La moindre invitation me devient une torture, chaque détail
de la vie une catastrophe. Je suis agressive, exigeante, illogique, capricieuse,
inintéressante au possible. J’ai honte de moi et je me plains, accusant
ceux qui essaient de me raisonner de ne pas me comprendre. Je pleure, je me traîne,
j’ai peur de mourir et ne fais rien pour changer mon état. Rien
ne m’excuse. Je ne mérite rien. Je ne m’appartiens pas.»
[ Extrait ] 19 - 20 janvier 1927
«Mon vice n’est donc point tant l’amour, ni la recherche
du plaisir le plus bas physiquement, puisqu’au fond, je fais surtout l’amour
pour gagner ma vie et obtenir de mes maîtresses les rentes nécessaires à mes
appétits et à mon égoïsme, mais en tout premier lieu
et avant tout, les toxiques, et en particulier la morphine, dans l’ivresse
supposée de laquelle je vautre mon âme calculatrice et mon corps
amoureux de léthargies artificielles qui permettent d’oublier les
déconvenues de ma carrière illicite mais très répandue à Paris.
[…] Mes livres et mes poèmes ? Constructions d’intoxiquée
au cerveau surchauffé par les stupéfiants et l’idée
fixe de camoufler ma véritable identité d’une livrée
et d’une auréole de poète prodige et ignorant, par excès
de pureté et d’insouciance intellectuelle, des réalités
matérielles de la vie.
[…] Enfin, suis un agent de destruction, de
scandale, de pourriture contagieuse, de désordre dans les couples et familles, et sournoise instigatrice
de toutes les intoxications des femmes qui m’ont approchée et furent
prises à mes pièges. Enfin, ayant sans doute dépassé les
limites de la tolérance humaine et de la patience de mes amis par trop
exploités, en prolongeant par trop la comédie du désespoir
au sujet de Reine et de son abandon, bien légitime quand on me connaît,
je mérite enfin, abondamment, le malheur qui paraît depuis trois
mois m’accabler, et mes successifs échecs dont je suis l’unique
auteur et seule responsable, et il est temps de m’infliger une leçon
et de ne plus m’aider à cacher mes vices.
Il est temps de m’accuser.
La punition qui n’est que justice consiste à m’abandonner
définitivement, à me laisser dans mon inévitable désert
et dans ma pauvreté due à ma paresse et à mon
arrogance.
Que je m’arrange.
On est prévenu, et que prudemment les portes et les coeurs se ferment
devant ma duplicité et mes demandes. Personne ne me doit rien, et en voilà assez.
J’ai 28 ans.» |